Le relâchement coupable

Le but d’une vie? Cela pourrait être cela, bien qu’une toute petite minorité d’êtres en soient capables j’en suis conscient. Vivre détaché de tout, même d’une crème glacée Mövenpick. Vivre avec des rêves et des buts précis tout en étant en même temps complètement dissocié. Expérimenter le lâcher-prise reste une des choses les plus difficiles qui soient à mettre en œuvre. Celles et ceux qui restent accrochés, dépendants d’un but dans leur vie n’y parviennent en général pas. Celles et ceux qui recherchent le pouvoir encore moins. Et celles et ceux qui le détiennent ne devinent même pas que cela existe. Car quand on est tout en haut, tout en haut, qu’on a tant sué pour y arriver, on fera tout pour y rester, quitte à sombrer dans la paranoïa, dans l’espionnage, dans le contrôle outrancier.

L’investisseur, en principe, fonctionne exactement pareil. Il veut tout savoir, tout anticiper, détenir l’info avant tout le monde, pouvoir retirer son pied du nid de guêpes avant tout le monde, habité pour la peur dévorante d’un jour devoir tout perdre. Il vit tendu, accroc aux news, paniquant s’il lui est impossible de se connecter à internet plus de 12 heures. Il vit… il vit quoi… complètement esclave de son existence. Son comportement a cependant évolué ces dernières années, forcé qu’il en a été tout simplement. Personne ne soutient la pression d’un marché haussier de 5 ans sans au choix, tout avoir vendu et pris les gains, ou alors en s’en étant complètement détaché. Et là se trouve bien ce qui m’inquiète. Car les investisseurs qui ont partiellement conservé leurs placements intacts, ceux qui ont réussi à tenir le choc de la pression à la hausse des marchés sans vendre, ceux-là sont devenus particulièrement vulnérables. Plus personne ne suit ce qui se passe dans les salles de trading. On s’en balance comme de notre première Golf. Que les nouvelles soient bonnes ou mauvaises on s’en tape complètement car les marchés ne vont que monter. La volatilité figure également parmi les abonnés absents, en congé non payé depuis de longs mois qui ne se comptent plus. Les journaux sont devenus complètement chiants. Même le NY Times devient inintéressant au possible. Krugman ne sait plus quoi écrire. Roubini n’y a plus droit de parole. Même Faber ne peut que constater que tout va bien. Si vous lisez le NY Times, ne l’achetez plus que le samedi. Vous y trouverez la rubrique phare de la semaine: l’escapade citadine en dernière page. Et si vous lisez Thomas Veillet sur le web, vous le trouverez complètement déprimé, lui qui pourtant boit son Ovo chaude tous les matins et qui transpire la joie de vivre.

Peut-être est-ce à présent qu’il convient de rester vigilant. Peut-être bien. Peut-être pas. Mais c’est dur! Les guetteurs s’en sont retournés dans leurs terriers. Ils hibernent. Il n’y a plus rien à surveiller. Ils ont perdu leurs jobs, remplacés qu’ils ont été par des racoleurs de pigeons. Des racoleurs formés dans les salles de classe des banques à qui on a gravé dans le cerveau une seule rhétorique. De un les banques centrales représentent la garantie de la hausse perpétuelle. De deux la preuve c’est que ça fait juste 5 ans que la théorie se vérifie… Et le pire c’est qu’ils ont raison et peut-être encore pour longtemps.

Expérimenter le lâcher-prise total durant cette période faste reste pourtant super difficile. Et là je ne peux m’empêcher la parallèle avec ma métaphore favorite représentée par mon troupeau de gnous. Vous les avez déjà vus lorsqu’ils se mettent à traverser une rivière? Les 50 premiers passent toujours tranquillement. Pendant ce temps, rassurés pleinement par cette évidente tranquillité, d’autres convives goûtent innocemment l’eau et ne se privent pas de se désaltérer longuement. Et c’est là que le crocodile attaque, par surprise, à l’endroit où on ne l’attendait pas… Le troupeau panique. Les plus faibles se noient. Les imprudents se font déchiqueter. Les maladroits se font piétiner. C’est le carnage.

La seule chose que j’ignore, c’est à combien de gnous on en est qui ont atteint la berge opposée. Peut-être 5-6, peut-être 10 à tout casser. La rivière est large en Afrique! Les économies ne tournent pas encore comme elles devraient. Et tant que ce ne sera pas le cas, les banques centrales continueront de déverser des sacs de pognon à taux zéro, et même en Afrique au pays des gnous… Mon sentiment, malheureusement, est qu’il reste encore beaucoup de marge, beaucoup de place, beaucoup de volonté aussi pour aller chercher ce Graal. On veut des économies qui fonctionnent à tout prix. Et pourquoi pas encore un marché haussier de 5 ou 10 ans?


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